Titre: Éléments
Groupe: Makaya
Date: 19 Février 2016
Le choix du son acoustique n'est pas un phénomène nouveau dans la musique des
Caraibes. Nous avons des antécédents remarquables tels que les groupes Strings et Malavoi
pour ne citer que les plus connus. Nonobstant, il demeure une donnée rarement observée.
Dans ce nouveau disque du groupe montréalais, on retrouve quelque chose de plus complexe
bien que certains passages rappellent des antécédents de « strings ». Makaya absorbe
diverses tendances et nous livre une sorte d'unicité dans la diversité. Peut-être est-ce l'ajout du
nouveau bassiste qui apporte une note plus jazzy et semble renforcer merveilleusement
l'approche percussive de Bontemps (Eléments) ? Ou bien, est-ce tout simplement que le
groupe, après plusieurs années d'existence, a atteint une maturité indiscutable ? Les réponses
à ces deux questions se superposent pour expliquer et comprendre l'orientation et la place de
Makaya sur le continuum musical haïtien.
Le groupe a fait du chemin depuis 2009, année de la sortie de leur premier album. Sept
ans plus tard, on observe une meilleure cohérence, une enveloppe musicale qui s'épure pour
ne conserver que l'essentiel. Le langage est coloré, unique et n'a rien à envier aux plus grandes
formations musicales de la Caraïbe. Le répertoire est varié. Il va du traditionnel aux classiques
d'une musique qui s'inscrit bien dans la mouvance de son temps. Les influences (senties) du
groupe sont diverses. On y retrouve une forte couleur latine, des éléments du Compas, des
références à la musique populaire d'Haïti, des ébauches issues du jazz et enfin, çà et là, des
phrasés originaires de la formation classique du pianiste. On discerne dans le jeu de Bontemps
des couleurs de Ludovic Lamothe (Irène, Wanga Nègès), des phrasés qui flirtent avec le salsa
(Gwòg Mwen) et enfin des tendances plus contemporaines, plus modernes(1) dans le titre
éponyme Eléments qui certainement attirera l'attention du mélomane averti. Et pour finir, tous ces
éléments disparates reposent sur un polyrythmie complexe, épine dorsale du Jazz Créole.
Deslouches, le chanteur, amène des couleurs variées aussi bien avec sa voix qu'avec
sa guitare « sèche ». La combinaison rythmique du Gwo Ka et de tambours haïtiens, soutenue
par un « groovy » contrebassiste ajoute une compacité et achève de donner à l'ensemble un
cachet unique. Dans tout ce cocktail réussi, le groupe sous la direction de Bontemps (sept
compositions sur l'album sont à son actif) s'affirme et consolide un style propre qui lui vaut une
place unique sur la scène du Jazz Créole.
Tout compte fait, au terme de plusieurs écoutes, j'ai abouti à la conclusion que l'attente
valait la peine puisque l'œuvre transpire le sens d'un savoir-faire certain et une maitrise
artistique d'une forme d'expression originale. D'autant plus que je suis conscient de toutes
sortes de difficultés logistiques et financières qui peuvent s'ériger sur le parcours d'une telle
réalisation. Mais tout cela fait partie du jeu, et la production d'œuvre de qualité passe forcément
par un temps de maturation pour la réussite pleine et entière du produit final. Toutefois, j'espère
que je n'aurai pas à attendre sept ans pour savourer le prochain opus du groupe.
................................................................................
1- Entendre moderne dans une perspective strictement haïtienne
Pour KariJazz
Alphonse Piard, Jr. (ALPI)
12 Mars 2016